Depuis plusieurs semaines, le parti socialiste s’est trouvé interpellé sur la question des loyers dans le cadre plus général des nouveaux quartiers prévus dans notre Commune. La perspective pour notre Conseil de plancher bientôt sur des nouveaux plans de quartiers, En Chise entre autres, invite à préciser les modifications qui sont intervenues depuis quelque temps.
Le 21 mars 2016, à propos d’En Chise, j’intervenais moi-même à cette tribune, sur trois points en particulier. D’abord, l’importance que les habitants actuels ou traditionnels intègrent ce nouveau quartier, que celui-ci ait sens pour eux: il est nécessaire qu’ils y voient un intérêt direct qui les concerne. Ensuite, la cherté déjà annoncée des loyers : on nous parlait de chiffres dits « modérés » aux environs de 1750 à 2200 CHF pour un 3 pièces, réservés à la « classe moyenne ». Une classe moyenne donc bien payée à la base. Troisième point, le souci que le quartier se transforme en cité dortoir, attirant des personnes de l’extérieur, et que des Crissirois de longue date, aux moyens plus modestes, ne doivent partir de notre commune, contraints ou « attirés » par des loyers moins chers ailleurs. Ces arguments demeurent valables dans le contexte plus général dont nous parlons ce soir.
D’autres arguments, en revanche, sont tombés depuis lors. Régulièrement, quand le parti socialiste évoquait le sujet de loyers accessibles à la population plus modeste, il se voyait rétorquer que Crissier n’était pas en reste de loyers modérés, l’exemple de Préfontaines avec ses appartements subventionnés hissant notre Commune au premier rang du Canton en la matière. Préfontaines ayant fêté ses 25 ans, les aides publiques tombent. Sans cette manne, les loyers augmentent et Crissier a perdu sa place de « leader ». Autre argument opposé à l’idée que la Commune intervienne sur la définition des loyers dans les nouveaux quartiers, le marché à la longue s’auto-régulerait, de sorte que, tout compte fait, les loyers tendraient à se modérer avec le temps. Cet argument est fallacieux : d’abord, il n’est pas dans l’intérêt des propriétaires de baisser les loyers. La valeur de leur bien est calculée sur la valeur des loyers. Si ceux-ci baissent, la valeur du bien aussi. A preuve, ce qui se passe dans certaines communes où les propriétaires préfèrent faire cadeau de mois de loyer plutôt que de le baisser. Par ailleurs, les taux d’intérêt ne resteront pas indéfiniment bas comme maintenant : dès qu’ils remonteront, les loyers avec.
Récemment, par ailleurs, de nouveaux outils sont venus donner du pouvoir aux Communes. La LPPPL, du 10 mai 2016, entrée en vigueur au début de l’année, permet aux Communes lors des plans d’affectation d’introduire des quotas pour des logements particuliers, dits logements d’utilité publique, dans les nouvelles constructions (art. 28, al 1, b). Le changement d’affectation est précisément, par exemple, ce qui va se passer avec En Chise, puisque la construction de ce quartier va nécessiter un dézonage du site, actuellement à caractère industriel. Les communes peuvent décider d’émettre des quotas de LUP pour des immeubles entiers ou uniquement pour un certain pourcentage de logements au sein d’un seul et même immeuble. Les Communes sont également autorisées à appliquer des règles communales complémentaires dans les domaines qui ne font pas l’objet d’une réglementation cantonale, notamment en matière de conditions d’occupation (art. 27, al 5). Les Communes sont donc désormais parfaitement habilitées à imposer des règles aux propriétaires sur les constructions que ceux-ci entendent ériger sur leur territoire. La même loi définit ces logements d’utilité publique : logements protégés destinés aux personnes âgées, logements étudiants et logements à loyer abordables. A noter que ces « logements à loyers abordables » bénéficient d’une reconnaissance officielle comme des loyers adaptés à la « classe moyenne », garantie par des limites de loyer idoines, par exemple de 212 à 242 CHF/m² an pour un 3 pièces (cf.https://www.vd.ch/fileadmin/user_upload/themes/vie_privee/logement/fichiers_pdf/LPP PL-P_Limites_de_loyers-Indexation_1er_oct._2018.pdf). A noter également qu’un logement peut être déclaré « à loyer abordable » sans qu’il y ait nécessairement d’aide publique (art 25, al 3 , RLPPPL). Ces nouveaux outils invitent donc les Communes à une attitude proactive en matière de préservation de logements accessibles à une frange moins nantie de la population, favorisant ainsi une véritable « mixité sociale ». La réalité est que cette frange existe, qu’elle n’est pas indigne et qu’elle doit bien trouver à se loger, elle existe aussi chez nous dans notre Commune. Je pense en particulier aux jeunes désireux de se mettre en couple pour fonder une famille, des futurs contribuables par ailleurs, ou à ces jeunes familles elles-mêmes dont le budget ne permettra pas qu’elles restent ou s’installent chez nous aux prix actuellement avancés. Des Communes autour de nous l’ont bien compris et se sont déjà engagées dans cette démarche (Bussigny, Lausanne, Nyon, Montreux).
En conséquence, au nom du groupe socialiste, j’adresse à la Municipalité, sous forme de postulat, la demande de fournir une étude approfondie sur le parc locatif actuel sur la Commune (loyers existants, catégories de logement, tendances à la hausse ces dernières années), d’identifier plus précisément les besoins de la population (pas seulement pour les personnes âgées et les étudiants mais pour ces jeunes familles, actuellement et de manière prospective) et de se positionner sur une politique proactive en matière de mise en œuvre des outils de la LPPL visant à instaurer des quotas de LUP adaptés aux besoins dans les nouveaux plans de quartier, d’y faire appliquer des prix plafonds tels que définis par la LLA et définis par les coûts réels de la construction et d’étudier la pertinence de créer une structure, éventuellement de type coopérative, pour la gestion de ces logements.