Texte publié dans le Crissier Contact du 29 mai 2020
Un (semi) confinement, puis un déconfinement, cela change-t-il qui on est? Est-ce que cela nous marque toute notre vie? J’en ai parlé (par Skype!) avec la seule personne que je connais qui ait vécu une situation similaire : ma grand-mère, qui, avec ses parents, n’avait pas pu quitter la maison pendant six semaines en 1939 lors d’une épidémie de fièvre aphteuse (cette maladie ne se transmet pas à l’humain mais sa famille avait quelques vaches). Près de 80 ans ont passé, mais elle se rappelle de cette période, alors qu’elle n’avait que neuf ans et que la guerre approchait.
Il est clair que la crise que nous vivons restera dans nos mémoires. Elle nous affecte, de mille manières différentes. On ne peut pas nier qu’elle a provoqué, provoque peut-être encore, des émotions négatives en nous. Dans une telle situation, beaucoup de personnes ressentent de la peur, pour leur santé ou celle des autres. D’autres craignent pour des proches qui sont à risque mais qui refusent de l’admettre. L’esprit humain a la fâcheuse tendance de se dire que c’est pour les autres qu’il faut faire attention, pas pour soi-même. Il y a aussi la crainte de perdre son emploi, de ne pas parvenir à payer son loyer, de mettre la clé sous la porte. D’autres peurs sont moins visibles. On peut avoir peur d’ « embêter », d’être mal vu si on décide de sortir. Une étude menée pendant le semi-confinement sur près de 2’500 personnes âgées de 65 ans et plus en Suisse romande montre que la moitié des personnes sondées pensent que le regard envers les séniors est devenu plus négatif depuis la crise du covid.
Mille et un petits gestes, souvent effectués en toute discrétion, nous montrent pourtant comment, en tant que société, nous avons surmonté le gros de la crise actuelle. Ma grand-mère se rappelle encore comment, en 1939, des voisins leur amenaient à manger. Faire les courses pour des personnes à risque, une petite attention à la personne qui nous amène le courrier, un mot gentil pour celles et ceux qui ont continué d’enseigner à nos enfants, un soutien aux indépendants (par exemple les marchés locaux). Tout simplement, un peu plus de sourires et de bonjours dans la rue. Pendant un temps, les relations humaines, qu’elles soient familiales, amicales ou de voisinage, se sont réinventées et renforcées.
Apprendre de ces expériences humaines et sociales est important, car cela nous montre comment nous pouvons améliorer le vivre ensemble, à Crissier comme ailleurs. Cette crise a bousculé des habitudes que l’on croyait irrémédiablement ancrées. Alors, a-t-elle également modifié qui nous sommes, en tant qu’individus et en tant que société? Les recherches menées dans mon domaine, la psychologie sociale, suggèrent que la manière-même dont notre identité se construit sortira changée de cette expérience. Nous avons pris conscience que, au-delà de nos individualités et de nos situations personnelles, c’est en tant que société que nous pouvons surmonter une crise.
Oriane Sarrasin, conseillère communale